Le présent document partage une démarche d’évaluation du bien être auto-rapporté par les travailleuses et travailleurs de la santé et le rapport méthodologique de l’étude « Les effets de la pandémie de la COVID-19 au Québec : une analyse du bien-être des travailleurs de la santé » menée par Maude Laberge et Bile Djedou de l’Université Laval.
Cette étude souligne l’importance de soutenir les travailleuses et travailleurs de la santé non seulement en tant qu’individus, mais aussi en tant que piliers du système de santé. Les résultats appellent à une action concertée pour aborder les défis identifiés, impliquant des améliorations dans les conditions de travail, des initiatives de soutien psychologique, et des politiques de santé publique adaptées particulières en contexte de pandémie. Répondre aux besoins des travailleuses et travailleurs de la santé, c’est non seulement améliorer leur bien-être, mais aussi renforcer la résilience du système de santé face aux crises futures et améliorer la qualité des soins prodigués aux patientes et patients. Dans une démarche de structuration d’évaluation du bien être auto-rapporté des travailleurs de la santé et basé sur la présente étude, voici quelques suggestions.
La démarche
Dans ce projet, le cadre conceptuel développé par Brigham et al., (2018) et adopté par le National Academy of Medicine (NAM) a été utilisé. Il porte sur les facteurs affectant le bien-être des travailleurs de la santé représentant une diversité de milieux de soins et de types de travailleurs de la santé.
Ce cadre conceptuel propose deux catégories de facteurs qui affectent le bien-être des ressources humaines : les facteurs externes et les facteurs individuels.
Ce cadre conceptuel est conçu pour englober de manière exhaustive les facteurs qui influencent le bien-être des travailleurs de la santé, avec, pour objectif principal, de soutenir développement d’interventions et des politiques pour réduire les risques de surmenage professionnel et améliorer la qualité de vie pour les travailleurs de la santé.

Figure 1: Cadre conceptuel sur les facteurs affectant le bien-être et la résilience des cliniciens (Brigham et al., 2018)
Basé sur les données de l’Enquête sur les expériences des travailleuses et travailleurs de la santé pendant la pandémie (EETSP) de Statistique Canada, dans cette étude, le concept de « Bien-être » est mesuré à travers trois variables dépendantes : la santé mentale autodéclarée, la dépression et l’anxiété. La base de données utilisée pour réaliser l’étude ne comportait pas de variable permettant de mesurer directement le bien-être des travailleurs de la santé. Le choix de ces trois variables pour évaluer ce concept provient des études antérieures qui ont analysé le bien-être des travailleurs de la santé en utilisant ces mêmes indicateurs (Chen et al., 2020; Suryavanshi et al., 2020).
La santé mentale autodéclarée : Dans la base de données de l’étude, l’état de santé mentale général est une variable autodéclarée sur une échelle à 5 niveaux (excellente, très bonne, bonne, passable, mauvaise).
La dépression : Le seuil de dépression a été calculé à partir des données collectées avec l’échelle de dépression – PHQ-2. L’échelle de dépression PHQ-2 (Patient Health Questionnaire-2) est un outil de dépistage très bref et simple, utilisé pour évaluer la présence de symptômes dépressifs. Il comprend deux questions concernant l’humeur et l’anhédonie qui évaluent la fréquence des symptômes dépressifs de base. Une cote de 3 ou plus est le seuil standard pour un résultat positif, c’est-à-dire si le score est de 3 ou plus, un trouble dépressif majeur est probable. Il a une bonne sensibilité et spécificité pour identifier la dépression majeure (Löwe et al., 2005).
L’anxiété : Le seuil d’anxiété a été calculé à partir des marques obtenues des travailleuses et travailleurs de la santé à partir du score de trouble d’anxiété généralisée – GAD-2. Le Generalized Anxiety Disorder-2 (GAD-2) est un outil utilisé pour identifier les symptômes potentiels d’anxiété généralisée dans les enquêtes populationnelles. Il est composé de deux questions, une sur la fréquence de la nervosité ou de l’anxiété et l’autre sur la fréquence de l’incapacité de contrôler son inquiétude (worry). Un seuil de la cote est déterminé pour dépister les troubles d’anxiété. Cependant, un score de 3 points est le seuil privilégié pour identifier les cas possibles et dans lequel une évaluation diagnostique plus approfondie du trouble anxieux généralisé est justifiée. En utilisant un seuil de 3, le GAD-2 a une sensibilité de 86 % et une spécificité de 83 % pour le diagnostic du trouble d’anxiété généralisée (Kroenke et al., 2007).
Dans le contexte des soins de santé, la prévention de la détresse psychologique des travailleuses et travailleurs est cruciale pour maintenir un environnement de travail sain et améliorer la qualité des soins prodigués. Bien que l’enquête sur les expériences vécues par les travailleuses et travailleurs de la santé pendant la pandémie (EEVTSP) de Statistique Canada ait permis de mesurer des indicateurs de santé mentale tels que la dépression et l’anxiété, il est essentiel de diversifier les outils de dépistage afin de fournir une évaluation plus complète de cette détresse et de prévenir son apparition. Plusieurs autres outils validés scientifiquement peuvent compléter l’évaluation des symptômes de détresse chez les travailleuses et travailleurs de la santé.
L’Inventaire du Burnout de Maslach (MBI) est l’un des outils les plus utilisés pour mesurer l’épuisement professionnel, une composante majeure de la détresse des travailleurs de la santé. Cet outil évalue trois dimensions : l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation, et l’accomplissement personnel, offrant une vision large du burnout (Maslach & Jackson, 1981; Soares et al., 2023). Des études ont montré que le MBI est particulièrement pertinent pour évaluer l’épuisement des travailleurs de la santé en période de stress prolongé, comme pendant la pandémie de COVID-19 (Houdmont et al., 2022; Rizzo et al., 2023).
L’Échelle de Stress Perçu (PSS), développée par Cohen et al. (1983), est un autre outil efficace pour mesurer la perception subjective du stress (Cohen et al., 1983). Il a été utilisé dans diverses populations pour évaluer l’intensité du stress ressenti, indépendamment des facteurs objectifs. Des études récentes ont démontré que la PSS est un indicateur précieux pour prédire les troubles de santé mentale, y compris la dépression et l’anxiété, chez les travailleurs de la santé (Jiang et al., 2023; Yılmaz Koğar & Koğar, 2024).
Pour détecter l’anxiété et la dépression dans des contextes hospitaliers, l’Échelle d’Anxiété et de Dépression Hospitalière (HADS), développée par Zigmond et Snaith (1983), offre une méthode rapide et fiable (Zigmond & Snaith, 1983). Composée de 14 questions réparties en deux sous-échelles (anxiété et dépression), elle a été largement utilisée pour évaluer la détresse émotionnelle chez les travailleuses et travailleurs de santé (Bjelland et al., 2002; Budzyńska & Moryś, 2023; Tasnim et al., 2021). Une méta-analyse a confirmé que le HADS a une sensibilité et une spécificité élevées pour le dépistage de la détresse psychologique chez les travailleurs de la santé (Bjelland et al., 2002).
L’évaluation de la résilience des travailleurs, définie comme la capacité à s’adapter aux situations de stress, est également cruciale dans la prévention de la détresse. L’Échelle de Résilience de Connor-Davidson (CD-RISC) (Connor & Davidson, 2003) est un outil fréquemment utilisé pour mesurer cette capacité. Des études récentes ont souligné que des niveaux plus élevés de résilience sont associés à une réduction de la détresse professionnelle chez les travailleurs de la santé (Alrjoub et al., 2023; Setiawati et al., 2021; Tugade & Fredrickson, 2004; West et al., 2020), suggérant que des interventions visant à renforcer la résilience pourraient aider à prévenir l’épuisement et l’anxiété.
Enfin, l’Échelle de qualité de vie professionnelle (ProQOL) est un outil qui mesure la satisfaction au travail, mais aussi la fatigue de compassion, un indicateur important de la détresse chez les travailleurs de la santé en contact avec les patients (Nazari et al., 2024; Stamm, 2010). C’est un outil d’auto-évaluation de 30 items, repartie en trois sous-échelles : la fatigue de compassion (incluant l’épuisement professionnel et le stress traumatique secondaire) et la satisfaction de compassion, qui évalue le plaisir tiré de l’aide apportée aux autres. Cet outil est largement utilisé pour identifier les signes précoces de burnout et de détresse émotionnelle chez les travailleurs de la santé (Heritage et al., 2018; Rikos et al., 2024; Su et al., 2021), facilitant ainsi des interventions préventives (Stamm, 2010).
En plus de ces outils de dépistage, des programmes tels que la Réduction du stress basée sur la pleine conscience (MBSR), bien que non spécifiquement un outil de dépistage, ont montré des effets significatifs dans la prévention de la détresse chez les travailleuses et travailleurs de la santé. Ces programmes, popularisés par Kabat-Zinn (1990), enseignent aux participantes et participants des techniques de méditation pour gérer le stress et sont largement utilisés dans les milieux de soins de santé pour réduire le burnout et améliorer le bien-être général (Kabat-Zinn & Hanh, 2009; Kemper et al., 2015).
Ces divers outils offrent une approche multidimensionnelle pour évaluer et prévenir la détresse psychologique des travailleuses et travailleurs de la santé, permettant ainsi une meilleure détection des facteurs de risque et une intervention précoce.
Pour l’analyse des données par sous-groupes spécifiques de travailleuses et travailleurs de la santé, l’analyse stratifiée est une méthode statistique particulièrement utile pour comprendre comment les facteurs externes et individuels influencent les types de travailleuses et travailleurs de la santé de manière distincte.
Finalement, pour contourner les limites de cette étude réalisée dans un contexte de pandémie, une étude avec des données longitudinales. Des données longitudinales permettraient également d’analyser des tendances.
Étude « Les effets de la pandémie de la COVID-19 au Québec : une analyse du bien-être des travailleurs de la santé »
Contexte : La trajectoire de soins des patientes et patients est étroitement liée au bien-être des travailleuses et travailleurs de la santé. Une détérioration de leur santé mentale et physique peut affecter la qualité des soins qu’ils fournissent. Au Québec, comme dans d’autres régions du monde, la pandémie de COVID-19 a eu un impact profond sur les travailleuses et travailleurs de la santé et les patientes et patients, en particulier en termes de bien-être.
Objectifs : L’objectif de cette étude est de décrire et d’analyser le bien-être auto-rapporté des travailleurs de la santé du Québec pendant la période de la première à la quatrième vague de la pandémie de COVID-19. L’analyse a consisté à estimer l’effet de divers facteurs, notamment de leurs expériences de la COVID-19, identifier les facteurs de risque associés à chacune des trois dimensions de bien-être auto-rapportées.
Méthodes : Nos analyses sont basées sur les données de l’Enquête sur les expériences des travailleuses et travailleurs de la santé pendant la pandémie (EETSP) de Statistique Canada, recueillies entre le 2 septembre et le 12 novembre 2021, auprès d’un échantillon de 1 175 travailleurs de la santé québécois. Nous avons utilisé des méthodes statistiques descriptives pour caractériser l’échantillon et la distribution des variables de l’étude, suivies de régressions logistiques pour chaque mesure de résultat. Ces analyses comprenaient des analyses stratifiées pour les types de travailleuses et travailleurs de la santé.
Résultats : Nos résultats indiquent que, 38 % des travailleurs de la santé ont signalé des problèmes de santé mentale, 21 % de l’anxiété et 13 % de la dépression. Les médecins ont rapporté des niveaux d’anxiété et de dépression inférieurs à ceux du personnel infirmier et des personnes préposées aux soutiens. Les différences entre les groupes sont statistiquement significatives pour la dépression. Les femmes étaient majoritaires parmi le personnel infirmier et les personnes préposées aux bénéficiaires, et la charge de travail élevée était fréquente chez ces personnes. Les problèmes de santé et la stigmatisation étaient également plus fréquents chez les personnes préposées aux bénéficiaires. Les facteurs associés aux problèmes de santé mentale comprenaient le genre, l’âge, la détresse émotionnelle et la stigmatisation, avec des variations significatives selon les types de travailleuses et travailleurs de la santé.
Discussion : Ces résultats offrent des perspectives pour le développement de politiques et de pratiques ciblées visant à assurer la santé mentale et physique des travailleuses et travailleurs de la santé, ce qui pourrait améliorer la qualité des soins et renforcer la préparation du système de santé à faire face aux défis futurs.
Mots-clés: Bien-être, travailleurs de la santé, COVID-19.