Autres publications

Faire équipe

Denis Côté est agent régional d'amélioration continue de la qualité. Il agit comme facilitateur sur le territoire du RUISSS Université Laval. Dans cet article, il évoque le passage d’une culture de professionnels de la santé et des services sociaux coopérant sans cohésion forte à une organisation intrinsèquement collaborative réunie autour d’intentions communes inspirantes. 

Faire équipe

Pour prendre toute notre place

Denis_cote

Par Denis Côté, agent régional d’amélioration continue de la qualité (ARACQ), RUISSS Université Laval

Récemment, j’ai commencé une démarche d’amélioration continue de la qualité (ACQ) dans un GMF (groupe de médecine de famille). Une telle démarche commence avec un atelier de travail réunissant les personnes concernées par les changements envisagés. Lors de cette réunion, il y avait quatre médecins, une infirmière et deux secrétaires. Au début de la rencontre, la cochef médicale nota que c’était la première fois qu’elles se réunissaient ainsi en différents corps de métiers. Cette anecdote illustre la transformation de culture organisationnelle à opérer ou à accélérer: passer d’une culture de professionnels coopérant sans cohésion forte à une organisation intrinsèquement collaborative réunie autour d’intentions communes inspirantes. 

Une équipe est un groupe de personnes qui s’entraident continuellement. 
Edgar Schein 

Les professionnels des cliniques font face à de multiples défis. Plusieurs de ces défis sont systémiques et relèvent de l’action politique et institutionnelle, hors de portée du pouvoir d’agir local. Cependant, pour plusieurs de ces défis, les membres des cliniques ont le pouvoir d’améliorer substantiellement les soins, leur milieu de travail et leur satisfaction personnelle au travail par une approche profondément collective et collaborative, et ce, sans attendre quoi que ce soit de l’état ou de leurs syndicats. Ils peuvent se prendre en main; je dirais plutôt, ils peuvent se prendre la main. 

Il ne suffit pas d’être un groupe de professionnels sous un même toit pour faire équipe. Il est essentiel de cultiver les relations et les compétences collaboratives (le faire-équipe) afin de pouvoir créer les changements organisationnels transformateurs, lesquels ne peuvent émerger que par des actions développées et décidées collectivement. Tout le contraire du travail en silos, en solo ou en microgestion. C’est encore plus crucial dans le contexte de pénurie de main-d’œuvre, de surmenage et de transformation des soins primaires. 

Stratégiquement, prendre soin de la dynamique d’équipe est important pour améliorer la prestation des services aux patients et les autres éléments du quintuple objectif dont le bien-être du personnel (1). D’ailleurs, une des synthèses place la reconnaissance de la nécessité du travail d’équipe et la création d’un climat interpersonnel sûr comme préalables aux autres compétences du faire-équipe (2). 

Des défis uniques 

Les équipes multidisciplinaires sont inéluctables et malgré les nombreuses prescriptions pour valoriser le travail en équipe, de multiples défis restent à relever pour transformer une culture encore axée sur les compétences professionnelles et techniques des individus et peu concernée par les compétences du faire-équipe (3). Encore trop souvent, devant les enjeux de collaboration, on choisit de faire avec plutôt que de faire équipe.  

On parle souvent de « collaboration interprofessionnelle » comme si cette compétence était particulière au milieu de la santé. Or, la collaboration est nécessaire dans presque tous les métiers et elle est un sujet fondamental du management. Le monde de la santé a beaucoup à importer des sciences de la collaboration tout en tenant compte de ses défis particuliers.  

  1. La complexité inhérente aux services de santé de soins primaires : appartenance à plusieurs équipes, équipes changeantes ou distribuées sur plusieurs sites, partenariat patient, changements technologiques, environnements institutionnel et réglementaire en mutation, pénurie de main-d’œuvre, etc. 
  2. Des cultures professionnelles différentes. Les différents professionnels travaillant dans une clinique n’ont pas été formés ensemble et ont souvent des conceptions et des motivations différentes du travail en équipe. 
  3. Une culture de soins encore centrée sur le médecin. Des grands efforts sont en cours pour développer la collaboration interprofessionnelle et il y a encore un grand chemin à parcourir pour améliorer la collaboration interprofessionnelle et la collaboration entre les médecins. 
  4. La hiérarchie et les dynamiques de pouvoir. Par la réglementation et aussi beaucoup sociologiquement, les médecins détiennent beaucoup de pouvoirs formels et informels. Et ce, sans même compter la structure hiérarchique du réseau de santé et services sociaux qui démobilise souvent le personnel. 

Surmonter ces défis sera possible par le développement assidu des compétences du faire-équipe. Soyons ambitieux et cultivons de puissantes collaborations au-delà de la « collaboration interprofessionnelle », c’est-à-dire entre des personnes engagées autour d’intentions communes inspirantes. 

Graduellement, la littérature médicale intègre les meilleures connaissances du faire-équipe pragmatique en proposant des synthèses sous forme de compétences de base comme dans (2) et (3). 

Source de l’image: static.cambridge.org

Vers le « communityship » 

Dans son récent livre, Henry Mintzberg décrit les différentes formes d’organisation et les forces pouvant y opérer (4). Traditionnellement, une clinique se présente sous la forme de l’assemblée professionnelle, peu tricotée serrée, centrée sur l’expertise et l’autonomie des médecins autour desquels gravitent les métiers « de soutien ».

Le faire-équipe et les défis mentionnées ci-dessus incitent à migrer vers la forme organisationnelle que Mintzberg nomme communityship. Dans une telle organisation, les membres sont habilités dans leurs rôles et réunis par une mission commune forte. Une telle organisation a toujours besoin de leaders mais au service du leadership de toutes et tous et du faire-équipe. Pour les médecins et gestionnaires, prendre conscience de son pouvoir, écouter, développer son humilité et inviter les autres à prendre leur place, à occuper leur zone de pouvoir (5). Cette même idée du communityship se retrouve dans les orientations du GMF apprenant (6) et la communauté de santé apprenante (7). 

Prenons la voie du communityship et du leadership collectif en développant délibérément nos compétences de faire-équipe.

 

Edmondson AC. L’entreprise sereine: la sécurité psychologique, pilier de l’entreprise hautement performante, humaine et résiliente. Paris: Pearson; 2022.

Edmondson AC. Teaming: how organizations learn, innovate, and compete in the knowledge economy. 1st ed. San Francisco: Jossey-Bass; 2012.

Greilich PE, Kilcullen M, Paquette S, Lazzara EH, Scielzo S, Hernandez J, et al. Team FIRST framework: Identifying core teamwork competencies critical to interprofessional healthcare curricula. J Clin Trans Sci. 2023;7(1):e106.

Réseau Coop. Le manuel d’exploration de l’autogestion [Internet]. 2023.

Slade S. Le leadership horizontal: instaurer une organisation non hiérarchique, une pratique à la fois. Montréal (Québec): Les Éditions de l’Homme; 2020.

Zajac S, Woods A, Tannenbaum S, Salas E, Holladay CL. Overcoming Challenges to Teamwork in Healthcare: A Team Effectiveness Framework and Evidence-Based Guidance. Front Commun. 17 mars 2021;6:606445.

1. Mission et vision | Unité soutien SSA [Internet]. Unité soutien SSA Québec. [cité 6 sept 2024]. 

2. Greilich PE, Kilcullen M, Paquette S, Lazzara EH, Scielzo S, Hernandez J, et al. Team FIRST framework: Identifying core teamwork competencies critical to interprofessional healthcare curricula. J Clin Trans Sci. 2023;7(1):e106.  

3. Zajac S, Woods A, Tannenbaum S, Salas E, Holladay CL. Overcoming Challenges to Teamwork in Healthcare: A Team Effectiveness Framework and Evidence-Based Guidance. Front Commun. 17 mars 2021;6:606445.  

4. Mintzberg H. Comprendre les organisations… enfin!: 7 formes, 7 forces. Montréal, Québec: Les Éditions de l’Homme; 2023.  

5. Mintzberg H. Reorganising our heads for the care of our health. BMJ Leader. 26 févr 2024;leader-2023-000912.  

6. Groulx A, Bouffard-Dumais C, Boies S, Belval-Nadeau V, Drolet M, Lévesque M, et al. GMF apprenant : Orientations [Internet].  

7. Mullins CD, Wingate LT, Edwards HA, Tofade T, Wutoh A. Transitioning from learning healthcare systems to learning health care communities. J Comp Eff Res. juin 2018;7(6):603‑14.  

  • Implantation et accompagnement du changement
  • Partenariat patient/public/organisationnel